Dans un arrêt en date du 1er juillet 2021, marquant un nouvel épisode de la saga du cartel dit des « endives », la Cour d’Appel de Paris a réduit de manière drastique le montant des amendes infligées par l’Autorité de la concurrence (« Autorité ») en 2012 pour entente (concertation sur les prix et les quantités) aux organisations de producteurs agricoles (« OP ») et associations d’organisations de producteurs (« AOP ») spécialisés dans la production et la vente d’endives. La Cour d’Appel a, en effet, estimé que la question de l’articulation entre les règles de la Politique Agricole Commune (« PAC ») et celles de concurrence n’était pas suffisamment précise jusqu’à la clarification opérée par la Cour de Justice de l’Union européenne (« CJUE ») en 2017.
Pour rappel, à la suite de la décision de l’Autorité le 6 mars 2012, l’immense majorité des OP et des AOP avaient formé un recours devant la Cour d’Appel de Paris, considérant que la coordination qu’ils avaient mise en place échappait aux règles de concurrence en raison du particularisme du secteur agricole, soumis à des conditions spécifiques (demande très concentrée, produits non stockables, aléas climatiques, etc.). Dans un arrêt en date du 15 mai 2014, la Cour d’Appel de Paris avait annulé la décision de l’Autorité, considérant que les pratiques reprochées aux parties n’étaient pas “indiscutablement établies” du fait des difficultés d’interprétation relatives à la réglementation sur l’Organisation commune des marchés agricoles (« OCM »), et ne relevaient, donc, pas du champ du droit de la concurrence, mais, plutôt, des règlements de la PAC.
L’Autorité forma ensuite un pourvoi auprès de la Cour de cassation qui décida alors de surseoir à statuer pour soumettre une question préjudicielle à la CJUE. Celle-ci clarifia alors, le 14 novembre 2017, l’articulation entre l’article 101-1 du TFUE, qui interdit les ententes, et l’article 42 du TFUE, qui limite l’application du droit de la concurrence, en formalisant une méthode qui reconnaît la primauté de la PAC sur les objectifs du Traité (et donc la possibilité de déroger à une application de l’article 101 de façon à préserver le rôle des OP et AOP) sans porter atteinte au jeu de la concurrence dans le secteur agricole.
Ce faisant, la CJUE a conditionné la possibilité d’admettre une concertation sur les prix et les quantités au respect de trois conditions cumulatives :
- une telle concertation doit être établie au sein d’une OP ou AOP effectivement habilitée et reconnue par un Etat membre de l’UE ;
- la pratique doit revêtir un caractère purement interne à une seule OP ou AOP ; et
- la pratique en question doit être nécessaire pour atteindre un ou plusieurs objectifs de l’OCM considérée.
Suite à l’arrêt de la CJUE, la Cour de cassation annula, le 12 septembre 2018, l’arrêt de la Cour d’Appel de 2014 au motif que celle-ci aurait dû rechercher si les conditions posées par la CJUE étaient réunies en l’espèce avant d’exclure du champ du droit de la concurrence les pratiques des OP et AOP en cause.
Par conséquent, l’affaire fut renvoyée devant la Cour d’Appel de Paris.
Dans son arrêt en date du 1er juillet 2021, celle-ci s’accorde, de manière assez singulière, avec l’Autorité sur la qualification d’entente unique et complexe, mais s’écarte cependant fortement de cette dernière quant à la détermination des sanctions. En effet, malgré le caractère anticoncurrentiel par objet des pratiques, la Cour d’Appel procède à une appréciation de la gravité des pratiques très atténuée, en la justifiant par la prise en compte d’éléments supplémentaires : incertitudes quant au cadre normatif applicable à l’époque des faits (et ceci, malgré les mises en garde répétées de l’administration française), faible importance du dommage à l’économie, durée et degré de participation individuelle des entités, et autres circonstances individuelles pertinentes.
C’est sur la base de ces justifications que la Cour d’Appel réduit drastiquement (division par trois) le montant des amendes initialement imposées par l’Autorité, le ramenant de 3.883.590 euros à 1.159.927 euros.
L’arrêt est disponible ici
Source : Cour d’Appel de Paris
8 juillet 2021