Le 19 mai 2016, la Cour d’Appel de Paris a rendu son arrêt dans l’affaire relative aux pratiques de différentiation tarifaire mises en œuvre par Orange et SFR via la commercialisation d’offres d’abondance « on net », qui permettaient aux abonnés d’appeler en illimité leurs seuls interlocuteurs clients du même réseau.
Tout en confirmant l’analyse de l’Autorité de la concurrence sur le fond, la Cour d’Appel de Paris a cependant réduit les amendes infligées à Orange et à SFR (plus de 117 millions d’euros pour la première et près de 66 millions d’euros pour la deuxième), au motif que la spécificité de la pratique mise en cause par rapport à celles précédemment sanctionnées rendait difficile de prévoir la nature infractionnelle de la pratique en cause. Par conséquent, la sanction imposée à Orange a été réduite à, environ, 94 millions d’euros, et celle imposée à SFR à, environ, 52 millions d’euros.
Pour rappel, en décembre 2012, l’Autorité de concurrence avait sanctionné les deux opérateurs de téléphonie mobile pour avoir abusé, essentiellement entre 2005 et 2008, de leur position dominante en créant une différenciation tarifaire abusive entre les appels « on net » (sur leurs réseaux respectifs) et « off net » (vers les réseaux concurrents) sans aucune justification objective.
L’Autorité avait jugé que ces offres étaient de nature à freiner la concurrence sur le marché de la téléphonie mobile et à dégrader la fluidité du marché, en ce qu’elles tendaient à amplifier l’effet « tribu », c’est-à-dire la propension des proches à se regrouper auprès d’un même opérateur, et qu’une fois les « tribus » constituées, elles se trouvaient durablement « verrouillées » auprès de cet opérateur, en raison de l’augmentation des coûts de sortie encourus par les abonnés aux offres d’abondance « on net ».
De plus, la différentiation tarifaire entre appels « on net » et « off net » avait également eu pour effet de renforcer l’effet « de réseau », étant donné que le consommateur était incité à choisir l’offre d’abondance « on net » des opérateurs qui disposaient d’un plus grand nombre d’abonnés, afin de pouvoir tirer davantage profit de celle-ci
Ainsi, cette différentiation avait affaibli le troisième opérateur, Bouygues Telecom, qui en ne disposant pas d’un nombre suffisant d’abonnés pour commercialiser avec succès ses offres d’abondance « on net », avait dû riposter en proposant des offres « cross net », permettant à ses clients d’appeler en illimité les abonnés de tous les réseaux. Or, ces offres ont significativement renchéri les coûts de Bouygues Telecom et affaibli sa capacité à animer la concurrence sur le marché.
Dans leur recours, Orange et SFR contestaient l’existence même de la pratique qui leur était reprochée. D’après elles, l’Autorité aurait dû procéder à l’application du test du ciseau tarifaire au lieu du test utilisé en l’espèce, qui manquait de pertinence pour ce qui est de l’évaluation des prix et des coûts.
La Cour d’Appel a rejeté l’intégralité des griefs présentés par les deux opérateurs mobile. En premier lieu, elle a noté que le test auquel avait procédé l’Autorité permettait d’apprécier l’effet potentiel d’étiolement de la concurrence, pratique d’éviction plus complexe que celles pouvant être appréhendées par le test du ciseau tarifaire.
Elle a également confirmé l’impossibilité pour Bouygues Telecom, qui détenait à l’époque 17% des parts de marché, de pouvoir faire face aux offres d’abondance « on net » sans augmenter significativement ses coûts.
Pour ce qui est de la prise en compte de la régulation sectorielle qui a encadré les tarifs des prestations de terminaison d’appel de tous les opérateurs, tout en appliquant une asymétrie tarifaire au profit de Bouygues, auquel a été permis de pratique des tarifs plus élevés que ceux pratiqués par Orange et SFR, la Cour d’appel de Paris a confirmé que, bien que la régulation sectorielle ait encouragé les opérateur à diminuer leurs prix, cela ne suffit pas à écarter l’application des articles L. 420-2 du Code de Commerce et 102 du TFUE.
Enfin, la Cour d’Appel de Paris a confirmé les effets anticoncurrentiels de la pratique de différentiation tarifaire mis en évidence par l’Autorité. Elle a considéré que les gains d’efficacité pour les clients des deux opérateurs sanctionnés qui ont vu leur facture réduite ne permettent pas de contrebalancer les effets anticoncurrentiels des pratiques mises en œuvre.
Le texte de la décision est disponible ici.
Source : Cour d’Appel de Paris