Dans une décision en date du 23 janvier 2020, l’Autorité française de la concurrence (ci-après, l’« Autorité ») a estimé que l’infrastructure fibre (‘FttH’, Fiber to the Home) d’Orange ne constituait pas une infrastructure essentielle et a rejeté la demande d’accès formée par l’Association des Opérateurs Télécoms Alternatifs (ci-après, l’« AOTA »).
L’AOTA avait saisi l’Autorité pour abus de dominance de la part d’Orange qui refusait l’accès à son infrastructure FttH à certains de ses adhérents, ce qui les aurait ainsi empêchés de proposer des offres suffisamment attractives à destination des entreprises et collectivités publiques.
L’infrastructure FttH comprend les fibres et éléments actifs déployés dans le réseau de génie civil d’Orange ; ce réseau de génie civil étant une infrastructure à laquelle tous les opérateurs ont accès dans des conditions identiques.
La question était donc celle de savoir si l’infrastructure FttH pouvait être considérée comme « essentielle ». La notion d’infrastructure essentielle fait référence à un ensemble d’installations détenu par une entreprise en position dominante (voire monopole), qui s’avèrent non aisément reproductibles et dont l’accès est indispensable aux tiers pour exercer leur activité. Apparue dans l’arrêt Terminal Railroad (1912) de la Cour suprême américaine, puis dans l’affaire Sealink (1993) de la Commission européenne, elle a été consacrée par la Cour de justice de l’Union européenne dans son arrêt Magill (1995). La Cour retient le caractère abusif du refus de contracter lorsqu’il porte sur un bien ou un service indispensable impossible à reproduire par des moyens raisonnables, de nature à éliminer la concurrence sans justification objective.
Dans le cadre de la saisine de l’AOTA, l’Autorité a sollicité l’avis de l’Autorité de régulation des communications électroniques et des Postes (ci-après, l’« ARCEP »). Cette dernière a considéré que, compte tenu de l’existence d’alternatives variées, l’accès à une offre activée FttH au niveau national d’Orange n’apparaissait pas comme strictement nécessaire (ou indispensable) pour exercer une activité concurrence sur le marché considéré. De plus, le déploiement de plusieurs réseaux de fibre optique alternatifs ou mutualisés avec Orange, démontrait qu’il était possible de dupliquer l’infrastructure FttH d’Orange.
L’AOTA soutenait qu’il existait un marché de gros spécifique des offres FttH activités en fibre optique, contrairement à la délimitation retenue par l’ARCEP. L’Autorité, quant à elle, laisse ouverte la question de l’existence d’un marché de gros spécifique des offres FttH activées, tout en refusant la qualification d’infrastructure essentielle pour l’infrastructure FttH d’Orange.
L’Autorité note que les réseaux en fibre optique ne couvrent pas l’ensemble du territoire, contrairement au réseau cuivre issu du monopole historique, de sorte que l’accès demandé par l’AOTA à Orange ne permettrait pas, à lui seul, de fournir des services aux entreprises sur l’ensemble du territoire.
Elle relève également que les difficultés rencontrées par certains membres de l’AOTA ne lui sont pas propres et existent aussi pour SFR et Bouygues, puisqu’ils ne disposent pas aujourd’hui d’une couverture exhaustive du territoire, a fortiori lorsque les réseaux FttH sont, comme aujourd’hui, encore en cours de déploiement. Pour autant, ces difficultés de couverture ne les empêchent pas d’être présents sur le marché aval.
Enfin, l’Autorité considère qu’il est raisonnablement possible de répliquer l’infrastructure FttH d’Orange et rappelle que, dans le cadre du déploiement du réseau fibre sur le territoire national, l’ARCEP a imposé à Orange que l’ensemble des opérateurs puisse accéder de manière équitable à ses infrastructures de génie civil de boucle locale (fourreaux, chambre de tirage, etc.) pour y déployer leur propre réseau fibre, de sorte qu’il n’est pas nécessaire de reconstruire un réseau de génie civil (fourreaux, chambre de tirage, adduction) pour déployer un réseau FttH, ce qui a concrètement permis à des opérateurs tiers de déployer leurs propres réseaux et de faire émerger un marché des offres de gros activées telles que proposées par les trois opérateurs que sont SFR, Bouygues Telecom et Kosc.
L’Autorité a donc rejeté la saisine de l’OATA au fond pour défaut d’éléments probants et, partant, la demande de mesures conservatoires accessoire à celle-ci. Elle a cependant décidé d’ouvrir une enquête exploratoire sur les problématiques du marché des télécommunications à destination des entreprises, afin de s’assurer de l’absence de pratiques de nature à fausser le jeu de la concurrence sur le marché entreprises.
La décision est disponible ici